dimanche 14 novembre 2021

Baster en Amérique Ep. 06 - Albert King - Born Under A Bad Sign [1967]


 Baster en Amérique, épisode 6. 

Hard luck and trouble is my only friend

"Je m'appelle Glen S. Baster. Je n'ai jamais fait ça, je veux dire, cette idée d'écrire un...journal, raconter ma vie, tout ça, je n'ai jamais fait ça avant. Et je n'ai aucune idée d'où ça va me mener ou si j'arriverai au bout de quelque chose. Je commence, sans savoir où commencer. Je m'appelle Glen S. Baster, du moins c'est comme ça qu'IL m'a nommé. J'écris IL en majuscule, ce n'est ni par idolâtrie ni par déférence religieuse, simplement parce que je ne connais pas son nom. J'aurais pu écrire l'auteur, j'ai préféré IL. Ça permet de le différencier d'autres "il". IL, ce sera ce il-là et pas un autre.

IL m'a appelé Glen S. Baster. A la longue je me suis habitué à ce nom à la con. Je ne sais pas ce que signifie le S. Peut-être "Sucker" ? J'imagine que l'intérêt de mon nom est qu'il sonne américain et il devait être très fier d'avoir trouver cette anagramme. IL a décidé que je serais détective privé. Mais pas un privé qui fait des filatures, des flagrants délits d'adultère ou des conneries de ce genre, non non, un privé dont les enquêtes concernent la musique. C'est quoi ce métier ? Je ne sais même pas si ça existe mais je suppose que ça a dû l'amuser de trouver ça
.
"

[Non mais c'est pas vrai Baster, je rêve, qu'est-ce que tu fous là ? C'est quoi cette histoire de journal ? C'est moi l'auteur et c'est moi qui décide qui écrit quoi. Tu imagines le bordel si tous les personnages se mettent à raconter une histoire de leur côté ? On irait où ? Et puis tu parles de moi en plus ? Qu'est-ce que tu connais de moi hein ? Rien de rien, tu ne sais rien de moi, alors tu arrêtes là, c'est moi qui écris, tu racontes à la première personne et c'est très bien comme ça. Un journal...Et puis quoi encore ?]

J'avais décidé d'accorder sa journée à la Dodge, la brave voiture avait bien mérité de se la couler douce quelques heures avant de repartir vers je-ne-sais-quelle aventure, destin ou destination que j'ignorais moi-même. Je l'avais laissée au repos à proximité du guest-house où j'avais trouvé une chambre pour la nuit, dans un des nombreux quartiers pavillonnaires, très loin du centre, qui étirent Memphis vers l'est et dans lesquels il doit être si facile de se perdre parmi les rues orthogonales, les pelouses soigneusement tondues, les magnolias et le monopoly de pavillons modestes qui vous jetaient dédaigneusement leur home sweet home au visage.

Au milieu de ce labyrinthe à la gloire du chacun chez soi, j'avais réussi à attraper un checker cab vert pour me ramener vers downtown où j'allais passer la journée avant mon rendez-vous du soir. J'avais d'abord dû repousser les assauts du propriétaire du guest-house qui tenait à tout prix à me faire profiter de la piscine à disposition des hôtes. Comment aurait-il pu savoir que l'idée même d'un plan d'eau, quel qu'il soit, me plongeait dans des abîmes de détresse mentale ?

Persuadé que j'étais en route pour la visite touristique de la ville, le chauffeur de taxi fit, de son propre chef et aux dépens des quelques dollars qui gonflaient modestement ma poche, le détour par Mulberry St. Pendant qu'il faisait opiniâtrement son boulot en me racontant une histoire que je connaissais déjà, je n'ai pas pu réprimer un frisson en passant devant le portique du Lorraine Motel et la couronne de fleur sur le balcon. Où que j'aille, les fantômes semblaient me poursuivre, parfois même me précéder. Encore un roi mort qui trainait avec lui une aura et un pan d'histoire trop lourd pour mes épaules alors j'ai décidé de remettre à une autre occasion la visite.

Délaissant le musée des droits civiques, le taxi a remonté South Main St. pour m'emmener dans le centre et j'ai trainé en ville, sans but, sans envie, juste pour passer le temps et essayer de m"imprégner de l'atmosphère de cette ville et de ce mythe que je ne comprenais pas. Main St., qu'elle soit sud ou nord, portait bien son nom. Dès qu'on s'éloignait de l'agitation de Beale St. on avait la sensation d'être plongé dans l'ambiance d'une petite bourgade middle west, tout droit sortie d'un film américain, et de sa rue centrale bordée de quelques commerces, restaurants et banques. Cette ville semblait être le paradis de la voiture, on pouvait se promener toute une journée dans downtown sans risquer de bousculer les passants.

J'étais rôdé à la solitude, alors passer plusieurs heures sans adresser la parole à un être vivant ne me posait aucun problème, d'autant que mon monologue intérieur occasionnel ne s'adressait pas aux vivants. Les trois banalités échangées avec la serveuse d'un grill, choisi au hasard de mon chemin, firent office de rapports humains pour une bonne partie de la journée. A part elle, seule cette fille, égarée loin de Bellevue Bd., qui tenait un commerce sans boutique m'avait abordé dans une de ces Lanes étroites dans lesquelles un touriste étranger était parfaitement incongru. Elle m'avait paru sympa et amusante mais je n'étais pas client et j'avais passé mon chemin solitaire en lui adressant un de mes rares sourire.

J'avais rejoint Riverside Drive avec une idée en tête, emprunté la passerelle piétonne, de laquelle on apercevait, si proche, la pyramide, pharaonique clin d’œil au nom de la ville, qui conduisait à Mud Island où j'allai défier le Mississippi que je n'avais pas encore osé aborder. Si j'avais imaginé les grands bateaux propulsés par des roues à aubes, les clichés en prirent un coup sur la tête.

Le fleuve avait englouti mes souvenirs fantasmés de coques en bois, de bateaux à vapeur et d'épaves charriées par les eaux boueuses. Mais il était là, à mes pieds, moins impressionnant que je ne l'avais imaginé, coulant des eaux tranquilles au moins jusqu'à la prochaine crue, acceptant même, en vieux monstre docile à moitié endormi mais toujours prompt à réveiller sa fureur à la moindre tempête, que des badauds le parcourent dans une barque. Il était à mes pieds et je le défiais, savourant une sorte de courage momentané dans lequel perçait subtilement le goût de la revanche. Je le défiais et j'étais prêt à me battre, prêt à affronter ce Styx pour descendre aux Enfers.

A suivre...

01 Born Under A Bad Sign
02 Crosscut Saw
03 Kansas City
04 Oh, Pretty Woman
05 Down Don't Bother Me
06 The Hunter
07 I Almost Lost My Mind
08 Personal Manager
09 Laundromat Blues
10 As The Years Go Passing By
11 The Very Thought Of You
Bonus Tracks    
12 Born Under A Bad Sign (Take 1 - Alternate)
13 Crosscut Saw (Take 1 - Alternate)
14 The Hunter (Take 1 - Alternate)
15 Personal Manager (Take 15 - Alternate)
16 Untitled Instrumental

 

Si vous cherchez un mot de passe, essayez donc downgrade.
Looking for a password ? Try downgrade.

Merci aux visiteurs qui laissent une trace de leur passage.

Till

vendredi 15 octobre 2021

Baster en Amérique Ep. 05 - Marc Cohn - Marc Cohn [1991]

 


 Baster en Amérique, épisode 5.

Why don't you mind your own business ?

Ça en devenait difficile à supporter, carrément indécent cette intrusion dans mon inconscient, cette mise à nu des doutes et des angoisses que j'avais pourtant soigneusement refoulés dans une zone obscure de mon cortex et qui auraient dû être à l'abri de cette psychanalyse de comptoir à laquelle me soumettait le type en face de moi. Peut-être étais-je tombé sur un expert dans l'analyse des traumatismes psychiques ? Ou peut-être que le processus de refoulement avait été si peu efficace que finalement je ne masquais mes angoisses qu'à moi-même et qu'avec un peu d'attention on lisait en moi comme dans un livre ouvert ? Quoi qu'il en soit, plus ce type parlait, plus une vieille chanson des années 80 me trottait dans la tête. Occupe-toi de ses affaires...

En arrivant à Memphis, sans vraiment y réfléchir mais comme mu par un instinct dont j'aurais du mal à expliquer l'origine, je m'étais dirigé vers Beale Street et ses clubs, ses bars, ses concerts. C'était la seule rue dont je connaissais le nom, mythique et chargée d'anciennes légendes, probablement à même de mettre sur ma route de nouveaux fantômes puisque, même si j'avais du mal à l'admettre, mon voyage semblait s'articuler autour de la rencontre d'ectoplasmes mémoriels, comme si j'attendais d'eux qu'ils entament le dialogue avec mes propres fantômes intérieurs.

Après avoir posé la Dodge j'avais erré sans but sur les trottoirs de Beale Street, juste pour éprouver l'atmosphère de la rue et la confronter à ce que mon imagination en avait fait. Partout des néons criards vantaient le concert à ne pas rater, la pseudo-star qui allait enflammer la scène, les soirées blues inoubliables, le meilleur club de Memphis et du monde. Ici on aime se croire au centre du monde. Les gens entraient et sortaient des clubs et, par les portes entrouvertes, j'entendais trois accords, des applaudissements, des sifflets, des verres qui s'entrechoquaient. Tu aurais détesté l'obscénité des néons, cette débauche d'électricité, cette célébration artificielle de la musique, sans spontanéité. Juste pour le business.

Au lieu d'entrer j'ai préféré marcher un peu. A part Beale Street interdite aux voitures, dans les rues du centre je ne croisais pas un piéton, comme si le moindre déplacement exigeait de sortir sa bagnole. A quelques blocs au nord, une poignée de tours, regorgeant certainement de banques et autres cabinets d'avocat, gratte-ciels à l'ambition mesurée qui semblaient être posés là plus par tradition nationale que par l'effet d'une politique urbaine visionnaire, dominaient sans mal un downtown plutôt modeste, à l'architecture quelconque où se côtoyaient pêle-mêle, sans logique et sans cohérence, façades en briques, pavés de verre, fausses pierres et bow-windows. Seuls le trolley et ses stations semblaient avoir un style propre et apporter un peu d'unité à la ville.

A l'extrémité ouest de Beale Street, en tendant le cou on pouvait deviner l'extrême pointe de Mud Island, un parc, un peu de verdure, la caution écologique d'une urbanisation sans ambition. Je ne jugeais pas. Je constatais et j'interprétais avec mes idées préconçues, celles qui nous réunissaient parfois autour d'une discussion futile sur la brit-pop, la télé-réalité, les films de vieux. C'est en apercevant Mud Island que j'ai repris conscience de l'odeur omniprésente du Mississipi. Le bruit de la circulation couvrait presque le grondement mais rien ne pouvait masquer les remugles de vase qui m'avaient écœuré la nuit dernière.

Sentant monter la nausée j'avais tourné le dos au fleuve, remonté Beale Street, dépassé les parkings aériens qui préfiguraient de futures constructions, parcouru la rue dans les deux sens et scruté à nouveau l'entrée des clubs. J'avais hésité un long moment devant celle du B.B. King's Blues Club. Attiré par la légende, repoussé par sa récupération mercantile, je n'entrais pas mais je ne m'enfuyais pas non plus. On aurait presque pu me prendre pour un rabatteur à la pêche aux clients si je n'avais pas été froissé et usé par la route. La barbe de plusieurs jours, les cheveux en bataille et la chemise plus fripée que la peau d'un vieux chef indien m'auraient fait recaler pour le job. Sûrement trop rock'n'roll.

J'ignore combien de temps j'étais resté planté là sans me décider à entrer. Je suis sorti de ma rêverie, dans laquelle tu dissertais sur le fait que je ne pouvais rien attendre de l'ambiance de ce club sinon tuer deux heures en m'occupant les neurones pour éviter de trop penser, quand le type m'a abordé avec, déjà, son baratin en action. Les lunettes noires sous le chapeau, son visage buriné de vieux black et le costume impeccable lui donnaient l'allure d'un vieux bluesman revenu de tout, et c'est peut-être ça qui m'a décidé. Je l'ai suivi à l'intérieur, en habitué des lieux il nous a trouvé une table à l'écart de la scène et m'a offert une bière, de la pisse d'âne locale mais l'intention était louable et je ne voulais pas froisser d'entrée un hôte si prévenant. Dans la pénombre du club il a posé ses lunettes noires sur la table et m'a fixé longuement de son unique œil valide.

[Ha ha ah, un seul œil Baster, un seul œil]

Un seul œil oui, mais qui semblait plus affuté que les regards compatissants ou compassés que je croisais habituellement. C'est là qu'a commencé ma séance de psychanalyse, un mot après l'autre, une bière remplaçant la précédente, bercée par les accords de guitare et la voix éraillée d'un bluesman sans souci de célébrité qui donnaient à la scène une coloration onirique. Mon Polyphème, plutôt bienveillant dans l'ensemble bien que sa capacité à lire si facilement en moi m'ait plongé, petit à petit, dans le grand vide intérieur, a rapidement mis le doigt sur les points sensibles, creusé les failles entrouvertes et appuyé sur les endroits les plus douloureux.

D'où je venais, ou j'allais et qu'est-ce que je cherchais dans ce voyage sans but avoué ? Est-ce que j'espérais trouver quelque chose au bout d'une route pavée de hasards et d'hypothétiques rencontres ? Ce n'était ni un voyage touristique ni un parcours initiatique, alors quoi, qu'est-ce que je cherchais ? Une catharsis, un catalyseur ou simplement l'oubli ? Je n'arrivais pas à répondre à ces questions, pas encore. Et lui se contentait de les faire émerger. En bon connaisseur de l'âme humaine, si jamais ce mot avait un sens, il m'incitait juste à essayer de trouver les réponses un jour, au bout de la route ou ailleurs. Et même si plusieurs fois dans la soirée j'ai eu envie de lui gueuler de se mêler de ses propres affaires, j'avais fini par accepter le fait d'avoir à me poser ces questions. C'était un vague progrès qui en appellerait peut-être d'autres, va savoir.

C'est en parlant avec lui tout au long de cette soirée qu'a émergé l'idée de coucher sur le papier tout ce qui me trottait dans la tête et essayer de faire sortir ce que je n'arrivais pas dire. Exactement ce que je t'avais conseillé un jour.

A suivre...

01. Walking In Memphis
02. Ghost Train
03. Silver Thunderbird
04. Dig Down Deep
05. Walk On Water
06. Miles Away
07. Saving The Best For Last
08. Strangers In A Car
09. 29 Ways
10. Perfect Love
11. True Companion

 

Si vous cherchez un mot de passe, essayez donc downgrade.
Looking for a password ? Try downgrade.

Merci aux visiteurs qui laissent une trace de leur passage.

Till