lundi 24 août 2020

Baster en Amérique Ep. 03 - Dan Sartain - Lives [2010]

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Baster en Amérique, épisode 3.


The first born is dead.

J'ai senti l'inflexion irrémédiable, bien que pas nécessairement définitive même si rétrospectivement je sais alors qu'à ce moment-là je ne pouvais qu'imaginer vers quoi cette inflexion me conduisait, que prenait mon voyage, en suivant la route qui s'orientait ostensiblement vers le nord-ouest au moment de traverser Birmingham (AL), premier contact depuis mon départ avec la densité d'une ville, dont j’apercevais les forêts de toits des ensembles pavillonnaires, tout en longeant quelques tours downtown surmontées de cette lumière étrange, voile brumeux et grisâtre, comme accroché à leur sommet, typique des concentrations urbaines modernes et provenant probablement des usines qui entouraient la ville, témoignant de son passé industriel, lumière qui donnait au tableau une atmosphère si peu accueillante mais paradoxalement rassurante pour un citadin qui venait de passer de longues journées de désert végétal avec pour seuls compagnons de voyage une Dodge en bout de course, de rares vols d'échassiers et, au gré de quelques haltes de ravitaillement obligatoires, une conversation plus ou moins chaleureuse dans des stations-services et diners de bord de route.

Je repris mon souffle après cette phrase interminable en me remémorant mes derniers jours de route. Je savais d'où je venais et je commençais à comprendre vers quoi cette route m'emmenait. Je repensais à cette famille et à leur accueil, à ce gamin intrigué par ma dégaine et mon antique bagnole, à la chaleur et la gentillesse dont ils avaient fait preuve spontanément, à la douceur et à cette sensation qui ressemblait à du bien-être - c'est le mot  qui me vient à l'heure d'écrire même s’il me paraît saugrenu en repensant à mon état d'alors - qu'ils avaient instillé en moi sans probablement en avoir conscience, et cette douceur et ce semblant de bien-être  avaient petit à petit provoqué en moi un changement radical, comme si le vrai but de mon voyage commençait lentement à m'apparaitre, à prendre une forme cohérente et rationnelle dans mon esprit. Jour après jour je me sentais de plus en plus capable de penser aux fantômes que je fuyais,  capable de matérialiser des souvenirs qui me liaient à eux avec l'espoir qu'un jour pas si lointain je pourrai arrêter de les fuir pour, au contraire, les accepter et vivre avec eux.

[Sérieusement Baster, tu t'imagines réellement que je vais te laisser orienter l'histoire à ta guise et rouler tranquillement vers la rédemption et la paix intérieure comme un héros hollywoodien à l'ancienne, que je vais te regarder poursuivre ta route tranquille sans semer de nouvelles embûches sur ton chemin ? Je ne te pensais pas aussi naïf, je ne t'ai pas créé aussi naïf. Non rien ne sera simple et tu ne sais pas où cette route te mène. Non, quand j'imagine la suite de ton aventure je n'envisage pas la paix, le repos, le bonheur, je pense plutôt à des mots comme périls, Odyssée, Chemin de croix, je te vois, et je suis sûr que ça va te flatter, comme un héros antique bravant mille dangers surnaturels pour atteindre le but que les Dieux lui ont fixé]

Je traversais le pays de William Faulkner, j'empruntais les routes de Robert Penn Warren mais je ne reconnaissais rien, le sud qu’ils avaient écrit n'existait plus, rattrapé par l'histoire, par la modernité, et peut-être par l'évidence de sa propre fin. Certes les Thomas Sutpen étaient devenus encore plus cruels, les Willie Stark toujours plus cyniques mais le sud que je découvrais n'était plus celui que j'avais imaginé, rêvé, fantasmé, cette sorte de vision romantique et fréquentable de la bête immonde qui allait, qui devait, qui aurait dû, m'engloutir et me dévorer, chair, sang, boyaux, ne rejetant que des os bien nettoyés qui n'auraient plus laissé que quelques bribes de viande à de pauvres charognards dans leur frugale désolation, avant qu'ils ne blanchissent, carcasse atroce, sous les coups de boutoir de ce soleil qui avait fait pousser, croître et engraisser les champs de coton et les familles de planteurs dont la déchéance était écrite dès la naissance par la transmission de gênes résolument récessifs, arrogance, mépris et cruauté, qui les avaient forgées pour ensuite les emporter dans le néant. Non le sud de mes lectures n'existait plus et peut-être Jack Burden ne s'était-il jamais réconcilié avec ses propres démons.

J'ai garé la voiture, qui sembla pousser un soupir de soulagement parce qu'elle n'imaginait pas vers quelle Charybde et jusqu'à quelle Scylla elle allait encore m'accompagner, 135 miles après les tours de Birmingham (AL), dans le centre d'une petite ville dont la trame orthogonale des rues ne l'aurait pas distinguée d'une autre ville si je n'avais été frappé par la chaleur qui y régnait malgré l'heure tardive. Il faisait nuit depuis plusieurs heures et pourtant la température était loin d'avoir baissé comme les autres jours où, malgré le soleil qui martelait à longueur de journées, les soirées étaient étonnamment fraîches.

Ici tout semblait subir l'étau de cette chaleur orageuse, jusqu'au tissu des vêtements qui vibrionnait de la tension qui saturait l'air, aux cheveux polarisés par l'électricité statique ambiante, aux poussières qui s'aggloméraient sur le plexiglas des rares devantures de magasins encore ouverts. L'orage allait éclater et il était évident, sans que je puisse l'expliquer de façon rationnelle, car peut-être que la raison n'avait rien à voir avec ce phénomène, peut-être que j'étais arrivé sans le savoir dans le royaume de l'irrationnel qu'un ancien roi surveillait de son œil illustre ou maudit ou peut-être bienveillant, il était évident que soir après soir cet orage rejouait la même scène depuis des années, des décennies, que les mêmes éclairs déchiraient le même ciel, que le même tonnerre grondait des mêmes basses et que se déroulait encore et toujours la même tragédie, à la fois fin et commencement, naissance et mort si intimement entremêlées qu’elles en modifieraient le cours de l'histoire de cette ville, de ce pays et sûrement de ce roi pas encore couronné.

Les gens dans les rues, badauds nocturnes dont les visages, éclairés intermittement autant par les dernières enseignes que par l'électrisation des molécules d'air, n'exprimaient pas la moindre surprise comme si tout ceci faisait partie de leur quotidien, de leurs habitudes, peut-être de leur histoire, ne semblaient même pas remarquer les décharges électriques qui striaient l'air du soir, révélant dans la lumière bleue surnaturelle, le halo de quelques fantômes fantasmés qui semblaient hanter cette ville depuis des lustres et qui paraissaient être les véritables maîtres des lieux, ceux qui avaient fait cette ville, porter son nom à la connaissance du monde extérieur, tenant au bout de leurs bras spectraux son histoire et sa réputation, lui évitant de retourner à l'anonymat d'autrefois, de ce temps qui avait précédé la naissance d'un roi.

C'était trop de fantômes qui cherchaient le repos, j'avais suffisamment à faire avec ceux que je trainais comme un boulet, trop de démons qui hantaient les nuits de cette petite ville. J'ai fui les éclairs et l'électricité de l'air, j'ai fui cette ville et ses mythes d'enfant mort-né un soir d'orage, de son roi porté au pinacle puis déchu puis mort avant de devenir immortel, j'ai fui des fantômes trop lourds à porter, je suis remonté dans la Dodge courageuse, finalement plus courageuse que moi, et j'ai quitté la ville, tourné le dos à Tupelo.

A suivre...



01. Those Thoughts
02. Doin' Anything I Say
03. Bohemian Grove
04. Prayin' For A Miracle
05. Walk Among The Cobras IV
06. Atheist Funeral
07. Ruby Carol
08. Bad Things Will Happen
09. Voo-doo
10. Whatcha Gonna Do?
11. I Don't Wanna Go To The Party
12. Yes Men
13. Touch Me
14. Atheist Funeral (Home version)
15. Bohemian Grove (Alternative Toe-Rag Version)

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Till