Le 27 juillet dernier la foudre est tombée sur Lyon faisant environ 4500
victimes. Oh, on en a très peu parlé dans la presse, les journaux
télévisés étaient déjà fort occupés à traiter des sujets brûlants comme
la migration des poules d'eau dans le marais Poitevin ou la culture de
l'andouille dans les boîtes branchées de Cannes. Et comment leur en
vouloir ? Qui s'intéressait à 4500 bienheureuses victimes ?
Bienheureuses ? Oui bienheureuses. Et consentantes.
Pourtant,
rien ne laissait présager un tel cataclysme. Le ciel désespérément bleu
rappelait aux plus étourdis que l'été s'était installé pour de bon
depuis un mois, la température était estivale ce qui n'a rien
d'extraordinaire un 27 juillet, la bière coulait à flot dans de pauvres
gobelets en plastique prompts à se renverser sur les pieds maladroits et
on apercevait même de maigres sandwiches et de tristes crêpes arpenter
les travées d'un théâtre romain au bout de bras affamés.
Non,
rien ne laissait présager un tel cataclysme. Sauf quelques oiseaux de
mauvais augures espérant avidement qu'un séisme gigantesque vienne
secouer la torpeur multi-millénaire des gradins en pierre. attendant
impatiemment un déferlement d'énergie, un raz-de-marée électrique, un
orgasme musical. Les dernières miettes de Belin rapidement dispersées,
la tension était vite devenue palpable dans les rangs serrés des
naufragés volontaires du proscenium. Au moindre frôlement, des
étincelles jaillissaient des corps coupables et éclairaient joliment la
fosse, jetant des ombres inquiétantes sur les âmes perdues en quête
d'énergie vitale.
Puis, répondant à un signal mystérieux, une
coutume ancestrale ou une décharge tellurique, tous ces corps se sont
connectés en un immense réseau. Plugged. Ce réseau improvisé, vecteur
d'un flux électrique dévastateur, s'est tout entier tourné vers la scène
qui enfin, enfin, laissait germer ses mauvaises graines.
Nous savons qui vous êtes.
Le
flux électrique est instantanément absorbé par les mauvaises graines,
transformant les semences diaboliques en un monstre incontrôlable,
créature mythologique, trou noir, noyau d'antimatière, générateur et
amplificateur d'énergie. Le monstre saisit la foule dans sa gueule et
l'entraîne en hurlant le long de
Jubilee Street. Cours, galope,
trébuche dans la rue devenue brasier, façades en flammes, immeubles en
ruine, poursuivi par une boule de feu inarrêtable.
I'm flying, look at me. Le monstre vole sur les flammes, s'y brûle les ailes, terrible et sublime. Trop tôt pour un paroxysme.
I want to tell you about a girl
She lives in room 29
That’s the one right on top of mine...
La
chambre 29 elle aussi est emportée dans le grand incendie. Les
planchers grincent, les poutres fument, personne ne sortira d'ici
vivant. Flammes, ruines, débris, poussière, fumée, plus que les yeux
pour pleurer.
I hear her cryin'. Pleurer. Une chanson pour
pleurer pendant que les femmes et les hommes dorment. Mais personne ne
peut dormir quand l'orage continue à gronder. Les roulements de tonnerre
déchirent les tympans, les éclairs zèbrent le ciel, magnifiques. Comme
un soir d'orage sur Tupelo, Mississipi, comme un soir d'orage pour
célébrer la naissance d'un autre mythe, un roi sans couronne.
Poursuivant
sa course folle, crachant flammes et fumée le monstre écrase, piétine,
broie tout sur son passage. Des sirènes exsangues lancent en vain leur
chant vénéneux, les chœurs d'une église baptiste s'en remettent à ce
qu'ils connaissent le mieux mais rien n'y fait, leur gospel endiablé
échoue à son tour. Le monstre écrase, piétine, broie tout sur son
passage. Poor Deanna.
Soudain, comme terrifié par sa propre
férocité, il s'immobilise, pétrifié au son de quelques accords de piano.
Le temps est suspendu, le monstre semble touché par la grâce, proche de
la rédemption, la Belle et la Bête s'affrontent silencieusement.
Rédemption. Grâce. Temps suspendu. Mais non, la voix intérieure le
guide. Les gens ne sont pas bons, alors attaque, dévaste, détruit, pas
de quartier, pas de pitié. Alors la bête rugit à nouveau, plus fort que
jamais. La bête serre la foule dans ses bras et reprend sa course folle.
La bête entraîne la foule dans une danse diabolique. Le fantôme de
Robert Johnson surgit, une guitare à 10 dollars dans le dos. Avec un
mauvais sourire il plante un archet dans celui d'Ellis.
La messe est dite, le diable s'invite au festin. Robert Johnson et le diable, qui sait lequel étripera l'autre ?
La
lutte est rude, âpre, acharnée. Toutes griffes dehors, les coups
pleuvent, les démons se mêlent à la transe. Stagger Lee, Jack
l'Eventreur, une main droite ensanglantée arrache les âmes au son d'une
cloche lugubre. Le monstre rugit, hurle, crache. La lutte est rude,
âpre, acharnée, à en repousser les limites du ciel.
Le ciel
désespérément bleu a cédé aux teintes de la nuit naissante. Dans le
brasier 4500 témoins muets, essoufflés, épuisés regardent la bête se
retirer lentement des décombres, repue, rassasiée, victorieuse. Personne
ne sortira d'ici vivant, personne ne sera plus vraiment comme avant.
Thank you Mr Cave.
C'était le 27 juillet 2013. J'y étais.
Set-List :
We Know Who U R
Jubilee Street
From Her to Eternity
The Weeping Song
Tupelo
Mermaids
Deanna
People Ain’t No Good
Into My Arms
Higgs Boson Blues
The Mercy Seat
Stagger Lee
Push the Sky Away
Rappel :
We Real Cool
Red Right Hand
Papa Won’t Leave You, Henry
Jack the Ripper
Love Letter
Merci aux visiteurs qui laissent une trace de leur passage.
Till