lundi 2 septembre 2013

[Retour de concert] Et l'âne vit l'Ange...

  

Le 27 juillet dernier la foudre est tombée sur Lyon faisant environ 4500 victimes. Oh, on en a très peu parlé dans la presse, les journaux télévisés étaient déjà fort occupés à traiter des sujets brûlants comme la migration des poules d'eau dans le marais Poitevin ou la culture de l'andouille dans les boîtes branchées de Cannes. Et comment leur en vouloir ? Qui s'intéressait à 4500 bienheureuses victimes ? Bienheureuses ? Oui bienheureuses. Et consentantes.

Pourtant, rien ne laissait présager un tel cataclysme. Le ciel désespérément bleu rappelait aux plus étourdis que l'été s'était installé pour de bon depuis un mois, la température était estivale ce qui n'a rien d'extraordinaire un 27 juillet, la bière coulait à flot dans de pauvres gobelets en plastique prompts à se renverser sur les pieds maladroits et on apercevait même de maigres sandwiches et de tristes crêpes arpenter les travées d'un théâtre romain au bout de bras affamés.

Non, rien ne laissait présager un tel cataclysme. Sauf quelques oiseaux de mauvais augures espérant avidement qu'un séisme gigantesque vienne secouer la torpeur multi-millénaire des gradins en pierre. attendant impatiemment un déferlement d'énergie, un raz-de-marée électrique, un orgasme musical. Les dernières miettes de Belin rapidement dispersées, la tension était vite devenue palpable dans les rangs serrés des naufragés volontaires du proscenium. Au moindre frôlement, des étincelles jaillissaient des corps coupables et éclairaient joliment la fosse, jetant des ombres inquiétantes sur les âmes perdues en quête d'énergie vitale.

Puis, répondant à un signal mystérieux, une coutume ancestrale ou une décharge tellurique, tous ces corps se sont connectés en un immense réseau. Plugged. Ce réseau improvisé, vecteur d'un flux électrique dévastateur, s'est tout entier tourné vers la scène qui enfin, enfin, laissait germer ses mauvaises graines. Nous savons qui vous êtes.

Le flux électrique est instantanément absorbé par les mauvaises graines, transformant les semences diaboliques en un  monstre incontrôlable, créature mythologique, trou noir, noyau d'antimatière, générateur et amplificateur d'énergie. Le monstre saisit la foule dans sa gueule et l'entraîne en hurlant le long de Jubilee Street. Cours, galope, trébuche dans la rue devenue brasier, façades en flammes, immeubles en ruine, poursuivi par une boule de feu inarrêtable. I'm flying, look at me. Le monstre vole sur les flammes, s'y brûle les ailes, terrible et sublime. Trop tôt pour un paroxysme.

I want to tell you about a girl
She lives in room 29
That’s the one right on top of mine...


La chambre 29 elle aussi est emportée dans le grand incendie. Les planchers grincent, les poutres fument, personne ne sortira d'ici vivant. Flammes, ruines, débris, poussière, fumée, plus que les yeux pour pleurer. I hear her cryin'. Pleurer. Une chanson pour pleurer pendant que les femmes et les hommes dorment. Mais personne ne peut dormir quand l'orage continue à gronder. Les roulements de tonnerre déchirent les tympans, les éclairs zèbrent le ciel, magnifiques. Comme un soir d'orage sur Tupelo, Mississipi, comme un soir d'orage pour célébrer la naissance d'un autre mythe, un roi sans couronne.

Poursuivant sa course folle, crachant flammes et fumée le monstre écrase, piétine, broie tout sur son passage. Des sirènes exsangues lancent en vain leur chant vénéneux, les chœurs d'une église baptiste s'en remettent à ce qu'ils connaissent le mieux mais rien n'y fait, leur gospel endiablé échoue à son tour. Le monstre écrase, piétine, broie tout sur son passage. Poor Deanna.

Soudain, comme terrifié par sa propre férocité, il s'immobilise, pétrifié au son de quelques accords de piano. Le temps est suspendu, le monstre semble touché par la grâce, proche de la rédemption, la Belle et la Bête s'affrontent silencieusement. Rédemption. Grâce. Temps suspendu. Mais non, la voix intérieure le guide. Les gens ne sont pas bons, alors attaque, dévaste, détruit, pas de quartier, pas de pitié. Alors la bête rugit à nouveau, plus fort que jamais. La bête serre la foule dans ses bras et reprend sa course folle. La bête entraîne la foule dans une danse diabolique. Le fantôme de Robert Johnson surgit, une guitare à 10 dollars dans le dos. Avec un mauvais sourire il plante un archet dans celui d'Ellis.

La messe est dite, le diable s'invite au festin. Robert Johnson et le diable, qui sait lequel étripera l'autre ?
La lutte est rude, âpre, acharnée. Toutes griffes dehors, les coups pleuvent, les démons se mêlent à la transe. Stagger Lee, Jack l'Eventreur, une main droite ensanglantée arrache les âmes au son d'une cloche lugubre. Le monstre rugit, hurle, crache. La lutte est rude, âpre, acharnée, à en repousser les limites du ciel.

Le ciel désespérément bleu a cédé aux teintes de la nuit naissante. Dans le brasier 4500 témoins muets, essoufflés, épuisés regardent la bête se retirer lentement des décombres, repue, rassasiée, victorieuse. Personne ne sortira d'ici vivant, personne ne sera plus vraiment comme avant.

Thank you Mr Cave.
C'était le 27 juillet 2013. J'y étais.




Set-List :

We Know Who U R
Jubilee Street
From Her to Eternity
The Weeping Song
Tupelo
Mermaids
Deanna
People Ain’t No Good
Into My Arms
Higgs Boson Blues
The Mercy Seat
Stagger Lee
Push the Sky Away

Rappel :

We Real Cool
Red Right Hand
Papa Won’t Leave You, Henry
Jack the Ripper
Love Letter


Merci aux visiteurs qui laissent une trace de leur passage.
Till

12 commentaires:

  1. Oh le bienheureux... Quelle chance et quel retour!!

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    1. Oui bienheureux. J'avais raté Nick Cave à Lyon il y a 12 ou 13 ans, je n'avais pas le droit de le rater cette fois-ci. Et ça aurait été d'autant plus dommage de le rater que le concert était vraiment formidable, de l'avis général des articles et commentaires que j'ai lus depuis. Mr Cave est toujours un très grand.

      C'est bien chiant de reprendre mais c'est un plaisir de tous vous retrouver.

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  2. trop beau pour un retour, à lire à tête reposée...

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    1. Ah ah c'est pour mettre un peu de beauté sur une rentrée pas marrante. Bonne lecture j'espère...

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  3. Impressionnant !
    Heureusement que tu avais le recul nécessaire dans cette intimité intense, on a failli te perdre, mais tu es re-né - non, Till, c'est bien mieux -, ouf!
    Bien beau partage pour ce concert inoubliable, ça ferait des notes de pochette de luxe. Si j'étais lui, je serais drôlement fier et ça me donnerait l'envie d'éditer ce set-là...

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    1. Oh tu sais, NC est capable d'écrire ses notes de pochette bien mieux que moi car Môôôssieur ne se contente pas d'être un grand songwriter, chanteur, musicien, Môôôssieur est aussi un écrivain de talent.

      S'il édite un jour ce concert je serai heureux de le proposer ici.
      Re-né, pardon Till

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  4. Ouais ouais ouais, wish I was there...
    Thanx Till.
    EWG

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    1. Tu l'as peut-être déjà vu avant ?
      Honnêtement je m'attendais à un truc plus pépère. Je trouve le dernier album très bon mais l'ambiance est plutôt calme, je craignais un peu la même chose en live, surtout avec l'influence majeure de Warren Ellis. Et en fait Ellis est un fou furieux, presque autant que Cave. Du coup ça a été une sacrée bonne surpris.

      Et NC a une présence et une aura, je ne te raconte pas. Maintenant je regrette juste de ne pas l'avoir vu avec Mick Harvey et Blixa Bargeld. Tant pis pour moi.

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  5. Beau retour de flamme qui donne envie... mais oui, j'oserais même un vive la rentrée!

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    1. Vive la rentrée carrément ? Le concert était juste avant mes vacances, c'était encore mieux.

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  6. Il est où le lien, il est où le lien? :-)))))

    Anecdote: Un conecrt se vit sur place c'est vrai. Mais le frisson était au rendez vous sur le DVD "Abattoir Blues Tour" Mon fils, qui ne tient pas particulièrement à me faire plaisir dans le domaine musical, est passé au salon quand je me regardais le concert (J'adoooore l'album) et il est resté avec moi.
    Oui, NC a une présence et c'est en partie un mystère, car il n'a pas le métier d'un Jagger (que j'admire quand même)
    Et au fait, j'ai bien fait de prendre le temps de lire. C'est beau une chronique qui n'a pas l'obligation de vendre!! Bravo

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    1. Je ne connais pas ce DVD. C'est vrai que rien ne vaut la présence au concert pour l'ambiance mais comme on ne peut pas toujours y être parfois ces succédanés sont bien utiles. Et quand un mec ou un groupe est bon sur scène ça se sent aussi sur la captation du concert.

      PS : j'ai réussi à placer succédané et captation dans un même commentaire, la journée commence bien. :-)

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